Le 30 décembre dernier, c’est à dire vingt quatre heures avant son message de fin d’année, Paul Biya a signé un decret et fait signer un autre par le Premier ministre d’une grande portée sociale, puisqu’ils portent l’âge de départ à la retraite des fonctionnaires et personnels de l’Etat relevant du Code du travail à 60 ans pour les categories superieures et à 55 pour les catégories inférieures.
Mais vingt quatre heures après, c’est à dire le 31 décembre au soir, alors qu’il a l’habitude d’égrener dans ses messages de fin d’année les cadeaux sociaux qu’il a fait aux camerounais au courant de l’année qui s’achève, il n’a pas dit mot sur sa gracieuseté de dernière minute, un véritable “cadeau de fin d’année » pour reprendre une expression du média d’Etat la Crtv. Il est vrai que dans un pays où 90% de la population active, (dont des jeunes pour la plupart diplômés d’universités), sont en chômage ou en situation de sous-emploi, maintenir le plus longtemps possible des vieux dans la fonction publique signifie que M. Biya ne se préoccupe pas du sort de la jeunesse. Mais c’est surtout la preuve que le Président de la République est lui-même conscient des difficultés que rencontrera son gouvernement pour implémenter cette énième magnanimité présidentielle, une pratique qui a fini par institutionnaliser le gouvernement par accoup.En effet la grande question qu’on se pose est de savoir ou est-ce que le gouvernement prendra de l’argent pour financer cette mesure, surtout que l’incidence financière sera indéniable. Selon de nombreux spécialistes des finances publiques camerounaises déjà mise en difficulté par les multiples crises sécuritaires, dont en particulier la guerre dans le Nord-Ouest et le Sud-Ouest, en 2021 cette nouvelle charge gonflera la masse salariale prévue dans le budget 2021 pour 1069,826 milliards de FCFA d’au moins 5%. Soit un montant de 53,4943 milliards pour lequel le gouvernement devra trouver des financements supplémentaires.
Examinons quelques pistes possibles.
Écartons d’office la piste d’un regain de l’activité économique. Car avec la persistance du coronavirus, les observateurs prévoient au mieux une croissance de 1 à 2% au maximum. Le gouvernement ne peut pas compter non plus sur le budget 2021 que l’assemblée nationale vient de voter, car il n’en a pas fait mention. Déjà il n’y a aucune garantie que ce budget de 4865,2 200 milliards sera réalisé, d’autant plus qu’il a été confectionné sur la base d’une prévision de croissance de 3%. Il ne peut pas non plus compter sur une amélioration de sa gouvernance qui fait disparaître une bonne partie des ressources publiques. Car, malgré toutes les pressions et autres conseils dont il fait l’objet depuis des annees, il devient de plus en plus clair qu’il est incapable de combattre la corruption qui mine sa gouvernance, tout comme il n’arrive pas à réduire son train de vie dispendieux. Il en est ainsi des 516 milliards qu’il a budgétisé en 2021 pour les séminaires, les frais de représentation, les missions à l’etranger, rubriques qui permettent seulement à ses hiérarques de s’en mettre plein les poches.
Il pourra probablement se rabattre sur ses sources de financement budgétaire préférées que sont l’augmentation des impôts et de l’endettement de l’Etat. Mais même là, rien n’est sûr.
Pour les impôts, on sait que, conséquence des APE qu’il s’était précipité pour signer sur le dos de ses partenaires de la Cemac, les recettes douanières vont encore baisser. Pour les autres impôts, le secteur privé à travers le Gicam, estime que les impôts et autres contributions obligatoires absorbent déjà 57% des revenus des entreprises du secteur formel. Or ces entreprises qui contribuent pour 80% aux recettes fiscales, ne représentent que 10% du total du répertoire national. Par conséquent, 90% des acteurs économiques opèrent dans le secteur informel. Un secteur qui échappe totalement au contrôle de l’Etat. Conclusion, augmenter la pression fiscale actuellement conduirait paradoxalement à étouffer la vache à lait de l’Etat.
Pour ce qui concerne l’endettement, c’est de notoriété publique que les bailleurs de fonds internationaux, principaux soutiens financiers du régime, à commencer par le FMI avec lequel il est sous programme, pensent que le dette publique approche dangereusement la cote d’alerte et ne verront pas d’un bon oeil son accroissement. Encore qu’en le faisant, l’Etat va simplement continuer à hypothéquer les générations futures pour faire vivre quelques fonctionnaires désoeuvrés, corrompus et budgétivores d’aujourd’hui.
En fin de compte, on a beau chercher, on ne voit pas par quelle mesure exclusivement économique le gouvernement pourra satisfaire cette énième magnanimité présidentielle. Néanmoins, l’horizon n’est pourtant pas bouché. Il reste une piste politique que seul le Président de la République pourra explorer. A savoir l’arrêt de la guerre dans les régions anglophones. Une guerre inutile car elle tente de régler des problèmes exclusivement politiques que seul un dialogue inclusif entre citoyens d’un même pays peut résoudre. Une guerre budgetivore, car selon certains spécialistes elle coûte au budget de l’Etat au plus bas mot un milliards de FCFA par jour. Ce qui veut dire que son arrêt et le retrait des militaires dans leurs casernes permettraient à l’Etat d’économiser de quoi financer le coût supplémentaire de l’harmonisation de l’âge de la retraite.
En conclusion, même si on suppose que M. Biya en prenant cette mesure aux allures démagogiques alors qu’on n’est pas en année électorale, s’est dit que son gouvernement va se débrouiller comme d’habitude, on espère que pour une fois qu’une de ses mesures économiques rencontre l’adhésion populaire, car allant dans le sens du relèvement du pouvoir d’achat des camerounais, le Président de la République pourra faire d’une pierre deux coup, donner aux camerounais un bon cadeau de fin d’année et remettre le Cameroun sur le chemin de la paix, indispensable pour la promotion de son développement économique. BONNE ET HEUREUSE ANNEE 2021